vendredi 15 juin 2012

Tunisie. Ennahdha prépare des lois liberticides au nom de la «défense du sacré»


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Tunisie. Ennahdha prépare des lois liberticides au nom de la «défense du sacré»PDFImprimerEnvoyer
Vendredi, 15 Juin 2012 07:42
Les foules qui ont défié Ben Ali entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 réclamaient-elles des lois liberticides au nom de la défense du sacré… ou plus de justice, d’égalité, de dignité et de liberté?
Par Mohamed Ridha Bouguerra*


A voir et à écouter nos ministres et autres officiels parler et poser devant les caméras depuis dimanche soir 10 juin et, surtout, depuis lundi 11 et mardi 12, de nombreux citoyens ont dû se dire: «Mais de qui se moque-t-on, enfin?»
A qui profitent les crimes?
C’est, en effet, faire une terrible injure à l’intelligence des Tunisiens que d’établir un quelconque lien entre l’exposition de peinture organisée récemment au Palais d’Al Abdellia et les violences qui viennent de secouer le pays de Bizerte à Ben Guerdane! C’est faire preuve aussi d’une indécente hypocrisie que de chercher à justifier l’injustifiable et, ainsi, expliquer ces graves troubles accompagnés d’énormes déprédations en évoquant une offense faite aux valeurs islamiques par certains tableaux exposés à l’occasion du Printemps des arts qui vient de s’achever à La Marsa. Car, quel mystérieux rapport existe-t-il entre une exposition de peinture et le saccage d’un tribunal, de plusieurs postes de police, de locaux de partis politiques, de bureaux de l’Ugtt? Voilà l’énigme que les futurs historiens de la Révolution se chargeront sans doute d’éclairer. Ils se demanderont aussi, probablement, pour quelle raison les antennes de certains partis ont été incendiées, mais aucune du parti Ennahdha. A moins de se dire que tout ce mauvais et dramatique scénario s’il a indubitablement nui à l’image de la Tunisie, a gravement porté atteinte à notre économie, n’en aura pas moins été si bien mis à profit par certaines parties…
La confusion est ainsi telle que l’on ne sait plus d’ailleurs si l’on doit sérieusement s’indigner ou, plutôt, simplement rire de ces équilibristes de la politique qui prétendent tenir la balance égale entre les «fondamentalistes rationalistes» (sic) et leurs adversaires les «fondamentalistes intégristes», pour nous exprimer ici comme l’un de nos plus importants ministres.
Les travaux d’Hercule du ministre de la Culture

Où s'arrête la libeté d'expression artistique et où commence la censure
D’autre part, comment garder son sérieux lorsque l’on entend le ministre de la Culture nous promettre une enquête judiciaire à propos de certaines œuvres, ou lorsqu’il déclare, comme il l’a fait mardi 12 juin au cours du point de presse tenu au Palais du gouvernement à la Kasbah: «Nous avons aussi décidé de porter plainte contre l’association organisatrice de la manifestation Printemps des arts.» C’est que pour cet éminent homme de culture, il existe, comme il nous l’a assené mercredi 13 sur Shems FM, des œuvres qui «portent atteinte au sacré.»
Mais l’homme d’État doublé d’un homme de culture qu’est notre ministre n’a pas daigné nous éclairer de ses lumières et définir quelque peu en quoi consiste cette grave «atteinte au sacré» qui aurait mis en ébullition nombre de nos si pieux mais aussi violents compatriotes?
Si, maintenant, photographier une femme au dos nu, peindre une odalisque ou schématiser le sexe féminin devient matière à condamnation, monsieur le ministre aura certainement beaucoup à faire. Il serait même à craindre, tant la tâche qui l’attend est immense, qu’il n’ait à imiter les talibans qui ont défiguré au mortier les Bouddhas de Banyan. Car dans nos musées, il y a bien (pour combien de temps encore, monsieur le ministre?) des statues de Vénus pudiques aux seins nus et au sexe à peine caché par une main hésitante, de nombreuses mosaïques aussi où des tritons folâtrent gaiement avec de belles naïades et autres sensuelles nymphes et déesses marines dont on avait oublié, jadis, de décemment couvrir les charmes ainsi que ceux de bien d’autres belles et énigmatiques Dianes chasseresses court vêtues…
Si vous avez décidé, monsieur le ministre, de nettoyer les écuries d’Augias, sachez que vous allez entreprendre l’un des plus difficiles travaux d’Hercule, car c’en est un!Mais, est-ce bien là une des priorités d’un membre du gouvernement provisoire qui tient actuellement entre les mains la destinée du pays et dont la vie politique est, en principe, limitée à quelques mois à peine encore? A moins que, à Dieu ne plaise, vous vous croyiez investi d’une mission de longue durée…
Estimez-vous, d’ailleurs, monsieur le ministre, que votre département n’ait pas de missions plus urgentes, comme la sécurisation de nos sites historiques menacés et même saccagés par les nouveaux Vandales venus de Mars? Ne pensez-vous pas que vous seriez plus utile à la communauté nationale si vous vous ingéniez à offrir des emplois dans le secteur du tourisme culturel, par exemple, aux nombreux diplômés chômeurs porteurs d’une licence d’histoire? A moins que vous n’ayez déjà fait votre deuil de la présente saison touristique opportunément (!) réduite à néant par les défenseurs de la vertu. Ne nous ont-ils pas fait perdre près de 100.000 postes d’emploi dans le secteur du tourisme? Ils s’apprêtent à faire mieux encore dans le secteur de la restauration puisque bars et restaurants sont déjà dans leur point de mire. Allez proposer des séjours touristiques halal en plein été à des Bavarois et autres Bruxellois ou Franciliens sans une chope de bière fraîche ou un petit ballon de rosé ou de blanc bien frappé!
En attendant la mise en pratique de la chariâ

Certaines des oeuvres qui dérangent ces messieurs salafistes
Mais, trêve de plaisanterie, l’heure est d’autant plus grave que l’on ne se contente plus de menacer les artistes et autres professionnels de l’art, mais que l’on passe à l’acte comme cela est, malheureusement, advenu à Rejeb Maghri, professeur d’art dramatique au Kef, que l’on a sauvagement agressé.
L’heure est d’autant plus grave que nombreux sont ceux qui risquent d’emboîter le pas à Bilal Chaouachi, militant et étudiant salafiste, qui a osé ouvertement avertir, récemment, les artistes sur une chaîne de télévision égyptienne, qu’ils doivent, selon lui, demander la rédemption, en attendant la mise en pratique de la chariâ. Sans que cela émeuve le moins du monde les autorités de tutelle! Sans qu’aucune poursuite ne soit engagée contre ce fauteur de trouble!
L’heure est d’autant plus grave que l’on se moque ouvertement des Tunisiens qui considèrent, à juste titre, et dans leur grande majorité, que l’affaire d’Al Abdellia n’est qu’un grossier prétexte. Pour beaucoup, ce n’est là qu’un odieux subterfuge qui permettra à Ennahdha de légiférer à loisir à propos du sacré et de ce que l’on a  appelé «l’atteinte au sacré».
Il y là une si vaste et vague matière à débattre que l’on trouvera facilement moyen de nous fourguer maints et maints articles de loi tendant à incriminer désormais le moindre trait d’humour ou la plus innocente espièglerie qu’autorise l’art dont la mission première est de provoquer et, même, de déranger afin de donner à réfléchir à ceux que l’usage de l’esprit ne rebute pas… Mais, cela aussi, l’on s’apprête à nous l’interdire. Une chape de plomb est en train de s’abattre sur le pays!
L’heure est d’autant plus grave que M. Ghannouchi a appelé le bon peuple à descendre dans la rue vendredi 15 juin afin de dénoncer l’atteinte au sacré, précisément.
Quelle signification donner à cet appel à manifester par un homme politique de cette envergure alors que huit gouvernorats vivent sous couvre-feu et que le pays, soumis encore à l’État d’urgence, traverse une crise inédite?
Après l’argument de la légitimité sortie des urnes, M. Ghannouchi va nous servir celui du «peuple veut»! Aussi s’appuiera-t-il sur les foules sorties de la grande prière du vendredi pour nous prouver qu’une majorité est en train de se dessiner dans le pays pour l’instauration d’un islam rigoureux, à la mode wahhabite, qui devra, nous dira-t-il, se traduire dans de futurs textes législatifs. On vous a bien dit que les troubles de ces derniers jours ne sont pas perdus pour tout le monde! Mais, est-ce bien à ce genre de texte que pensaient les foules qui ont défié Ben Ali entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011? Réclamions-nous alors des lois liberticides ou plus de justice, d’égalité, de dignité et de liberté?

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