dimanche 12 février 2012

Observatoire de la Vie Politique Turque Armée Constitution Economie Elections Energies Ergenekon Interview Justice Lectures Mobilisations sociales Moyen-Orient Non-classés Partis Politique étrangère Politique intérieure Question chypriote Question kurde Religions Union européenne Violences AccueilÀ proposCrédits Premier bilan de la tournée des printemps arabes de Recep Tayyip Erdoğan 17 septembre 2011 Par Jean Marcou Après son passage en Égypte et en Tunisie (cf. nos éditions des 14 et 16 septembre 2011), Recep Tayyip Erdoğan est arrivé, le 16 septembre, en Libye, la dernière étape de sa tournée des printemps arabes. À Tripoli, devant la foule venue l’accueillir sur la Place des Martyrs, le premier ministre turc s’est livré à une opération de charme, rappelant celles déployées, lors de ses précédentes étapes : «Hier, j’étais en Tunisie et j’ai félicité le peuple qui a conduit la Révolution de Jasmin, il y a deux jours, j’étais en Égypte et j’ai félicité le peuple qui a initié le printemps arabe. Aujourd’hui, je suis avec vous !» Comme les gens entonnaient des slogans hostiles au président syrien Bachar el-Assad (peut-être n’était-ce pas un hasard…), le leader turc s’est lancé dans un vibrant plaidoyer pour la démocratie, en condamnant le régime baasiste : «Ceux qui répriment leur propre peuple en Syrie ne survivront pas. Les autocraties sont terminées. Les régimes totalitaires disparaissent. Le temps est venu de la loi du peuple.» Pourtant, dans ce pays, dont la Turquie n’a que tardivement soutenu la révolution, le message erdoğanien semble avoir eu moins d’impact qu’en Tunisie et en Égypte. Il faut dire que le leader turc s’était fait voler la vedette par la visite-surprise, la veille, de Nicolas Sarkozy et de David Cameron. Faisant une allusion à peine voilée aux visiteurs qui l’ont devancé, Recep Tayyip Erdoğan a d’ailleurs voulu mettre en garde les Libyens contre ceux qui ont des visées un peu trop terre-à-terre sur le processus actuel de reconstruction de leur pays : « Ne prêtez pas le flanc aux appétits des gens qui convoitent les ressources libyennes. La Libye appartient au Libyens et cela doit rester ainsi. Dieu vous bénisse ! » Mais le leader de l’AKP n’était-il pas là, lui aussi, pour affaire ? La Turquie entretenait 25 000 expatriés dans ce pays avant que le soulèvement ne commence, et elle avait signé pour près de 30 milliards de dollars de contrats avec le régime de Mouammar Kadhafi. Nul doute qu’aujourd’hui, après avoir effectué un virage à 180 degrés par rapport à ses positions initiales, qui l’avaient vu affirmer sa neutralité à l’égard de belligérants des deux camps et refuser de participer à l’intervention internationale, Ankara entende retrouver ses investissements libyens antérieurs, malgré les ambitions françaises et britanniques avec lesquelles elle devra compter désormais. Au moment où cette tournée dans les pays phares des printemps arabes s’achève, l’heure du bilan paraît avoir sonné. En réalité, cette vaste entreprise de séduction en direction du monde arabe a fonctionné, selon le scénario auquel on pourrait s’attendre. Alors que se précise la demande de reconnaissance d’un État palestinien à l’ONU, Recep Tayyip Erdoğan a su parfaitement occuper le terrain. Empêché de se rendre à Gaza, il s’est offert néanmoins un discours à la Ligue arabe qui restera dans les annales (cf. notre édition du 14 septembre 2011), et qui lui aura permis de se faire le champion de la cause palestinienne et le chantre d’un système politique a la turca, parvenant à marier islam et démocratie. Toutefois, passé l’enthousiasme de la rue arabe et le silence des capitales occidentales, il sera intéressant de voir comment Ankara va gérer sa relation avec Washington. Les Etats-Unis sont-ils prêts à accepter que la Turquie poursuive son escalade verbale à l’égard d’Israël, et son engagement hyperactif en faveur de la cause palestinienne ? Comment vont-ils réagir au positionnement stratégique d’un allié turc entreprenant qui, à bien des égards, s’emploie à redistribuer les cartes au Proche-Orient. Il est vrai qu’alors que son premier ministre jouait les leaders du monde arabo-musulman, la Turquie a pris le soin de donner de nombreux gages d’attachement à son allié américain. Elle a notamment confirmé sa participation au bouclier antimissile, accentué son engagement aux côtés de Washington dans la lutte contre le terrorisme, demandé à l’armée américaine stationnée en Irak de lui permettre de bénéficier de l’appui de ses drones Predator pour pallier aux carences affectant livraison par Israël de drones Heron. Mais l’offensive du premier ministre turc en direction du monde arabe et les initiatives qui l’ont accompagnée, tendent aussi à modifier les équilibres stratégiques dans la région. L’Iran se retrouve menacé d’isolement au moment où les difficultés du régime syrien risque de lui faire perdre les leviers qu’il possède au Liban et à Gaza pour influer sur les conflits du Proche-Orient. Les Kurdes voient leurs sanctuaires en Irak bombardés par l’armée de l’air turque et menacés par une nouvelle intervention terrestre, à laquelle toutefois Téhéran, sollicitée par Ankara, vient de refuser de s’associer. Au risque de se couper totalement du monde musulman, les Kurdes en outre n’ont pu accepter l’aide que leur a «généreusement» proposée le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en réponse aux sanctions turques dont son pays vient de faire l’objet. Avec des accents erdoğanien, le numéro deux du PKK, Murat Karayılan a affirmé qu’Israël devrait d’abord s’excuser auprès du peuple kurde d’avoir contribué, en 1999, à l’arrestation d’Abadullah Öcalan. L’initiative arabe de Recep Tayyip Erdoğan contribue même à isoler la Grèce et Chypre d’un Proche-Orient avec lequel ces pays ont longtemps eu des relations denses, au moment même où se pose avec acuité la question de l’exploitation des gisements gaziers en méditerranée orientale. Isolement d’Israël, de l’Iran, des Kurdes, de Chypre… affaiblissement des positions internationales des pays arabes absorbés par la résolution de leurs problèmes politiques intérieurs, la Turquie paraît trôner au milieu d’un Proche-Orient transformé. Mais cette nouvelle assise stratégique d’Ankara reste encore à démontrer et va devoir à très courte échéance affronter des défis dont l’issue sera significative. Barack Obama, qui continue de demander à la Turquie de rétablir ses relations avec Israël à un niveau normal d’intensité, doit rencontrer la semaine prochaine le premier ministre turc en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, alors même que Mahmoud Abbas, le leader de l’autorité palestinienne, vient de faire part de sa détermination à demander à ce que son pays soit reconnu comme un Etat-membre. On verra alors si le président américain est en mesure de siffler la fin de la récréation arabe du chef du gouvernement turc ou s’il doit composer avec la situation créée au cours des dernières semaines par son encombrant allié. Quant à la diffusion du «modèle politique turc», elle aura donné lieu à la plus forte surprise de cette tournée arabe, même si cela a échappé à la plupart des médias occidentaux. On croyait, en effet, le leader de l’AKP parti pour faire la promotion d’un «islam modéré». Or, il n’a pas hésité à défendre l’idée d’une laïcité de l’Etat et à la recommander aux pays arabes qui sont à la recherche de nouveaux systèmes. En Égypte, notamment, Recep Tayyip Erdoğan a ouvertement souhaité l’adoption d’une constitution laïque, en se permettant de faire la leçon à ses interlocuteurs : «Dans un régime laïque, les gens sont libres d’adhérer à une religion ou de ne pas le faire… N’ayez pas peur de la laïcité qui n’est pas l’ennemi de la religion… J’espère que le nouveau régime en Égypte sera laïque… J’espère qu’après mes remarques, l’opinion des Egyptiens sur la laïcité changera.» Cette réintégration de la laïcité dans le «modèle turc» n’a pourtant pas été bien accueillie par tout le monde, en particulier par certains membres ou sympathisants des Frères musulmans égyptiens. L’un d’entre eux a estimé que le premier ministre turc plaquait artificiellement l’expérience turque laïque sur une réalité égyptienne totalement différente. Ces réactions hostiles auront été les seuls échos négatifs émis dans le monde arabe pendant la tournée de Recep Tayyip Erdoğan, mais elles ne l’auront pas découragé d’enfoncer le clou le lendemain en Tunisie, où il a réitéré son plaidoyer en faveur d’un Etat laïque, en récitant même pieusement le premier article de la Constitution turque (cf. notre édition du 16 septembre 2011). Il est vrai que la position du premier ministre sur la laïcité, qui rejoint en fait une tradition ottomane d’organisation des relations religions-Etat fondée sur la tolérance, a peut-être une autre préoccupation : celle d’éviter les affrontements interconfessionnels dans la région, y compris dans des zones voisines de la Turquie. À plusieurs reprises au cours de sa tournée, Recep Tayyip Erdoğan a dit sa crainte de voir la crise syrienne actuelle tourner à un affrontement entre sunnites et alaouites. Au printemps, par ailleurs, il s’était rendu, à la surprise générale, sur les lieux saints chiites en Irak (en particulier Najaf), pour rencontrer le grand ayatollah Ali al-Sistani (cf. l’article de Jean-Paul Burdy dans notre édition du 23 avril 2011). Au moment où les pays du Golfe étaient en train d’écraser la révolte Bahreïnie (perçue par eux avant tout comme une révolte chiite), le leader turc avait voulu incarner un islam sunnite tolérant, ouvert au dialogue avec les autres branches de l’islam, en plaidant pour qu’il n’y ait pas de «nouveau Kerbala». Mais, au Caire et en Tunisie, le discours est allé plus loin, car le leader de l’AKP a estimé que pour assurer cette tolérance ainsi que la victoire de la démocratie, il fallait établir un «Etat laïque», seule formule apte à assurer la paix religieuse parce qu’elle place, a-t-il expliqué, l’autorité publique dans une position «équidistante à l’égard de toutes les religions». Il n’est pas sûr que le «professeur» Erdoğan ait été entendu et compris par tout le monde. Significativement, les médias les plus religieux des pays qu’il a visités ont eu tendance à taire pudiquement cet aspect-là de son discours. Mais, si cette position «laïcisante» se confirme, ce sera un indice important pour comprendre l’expérience politique que vit la Turquie à l’heure actuelle. JM shareshare Imprimer ce billet Mots clefs : Egypte, Etats-Unis, Laïcité, Libye, Nicolas Sarkozy, printemps arabe, Recep Tayyip Erdoğan, révolution arabe, Syrie, Tunisie Posté dans : Moyen-Orient, Politique étrangère, Religions 2 commentaires pour “ Premier bilan de la tournée des printemps arabes de Recep Tayyip Erdoğan ” Tensions turco-israéliennes, une crise opportune ? : Club du millénaire le 8 novembre 2011 à 20:05 [...] http://ovipot.hypotheses.org/6607, consulté le 9 octobre [...] RÉPONDRE Premier bilan de la tournée des printemps arabes du premier mistre turc - KADGODDEU.ORG le 22 septembre 2011 à 11:02 [...] Article original publié sur le site de l’OViPoT le 17 septembre 2011 sous le titre Premier bilan de la tournée des printemps arabes de Recep Tayyip Erdoğan [...] RÉPONDRE Laisser un commentaire Nom(nécessaire) Adresse e-mail (ne sera pas publiée)(nécessaire) Site web Notify me of followup comments via e-mail Type the two words: IFEA Bienvenue Bienvenue sur le nouveau blog de l ’Observatoire de la Vie Politique Turque (Ovipot). 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Premier bilan de la tournée des printemps arabes de Recep Tayyip Erdoğan

17 septembre 2011
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Après son passage en Égypte et en Tunisie (cf. nos éditions des 14 et 16 septembre 2011), Recep Tayyip Erdoğan est arrivé, le 16 septembre, en Libye, la dernière étape de sa tournée des printemps arabes. À Tripoli, devant la foule venue l’accueillir sur la Place des Martyrs, le premier ministre turc s’est livré à une opération de charme, rappelant celles déployées, lors de ses précédentes étapes : «Hier, j’étais en Tunisie et j’ai félicité le peuple qui a conduit la Révolution de Jasmin, il y a deux jours, j’étais en Égypte et j’ai félicité le peuple qui a initié le printemps arabe. Aujourd’hui, je suis avec vous !» Comme les gens entonnaient des slogans hostiles au président syrien Bachar el-Assad (peut-être n’était-ce pas un hasard…), le leader turc s’est lancé dans un vibrant plaidoyer pour la démocratie, en condamnant le régime baasiste : «Ceux qui répriment leur propre peuple en Syrie ne survivront pas. Les autocraties sont terminées. Les régimes totalitaires disparaissent. Le temps est venu de la loi du peuple.» Pourtant, dans ce pays, dont la Turquie n’a que tardivement soutenu la révolution, le message erdoğanien semble avoir eu moins d’impact qu’en Tunisie et en Égypte. Il faut dire que le leader turc s’était fait voler la vedette par la visite-surprise, la veille, de Nicolas Sarkozy et de David Cameron. Faisant une allusion à peine voilée aux visiteurs qui l’ont devancé, Recep Tayyip Erdoğan a d’ailleurs voulu mettre en garde les Libyens contre ceux qui ont des visées un peu trop terre-à-terre sur le processus actuel de reconstruction de leur pays : « Ne prêtez pas le flanc aux appétits des gens qui convoitent les ressources libyennes. La Libye appartient au Libyens et cela doit rester ainsi. Dieu vous bénisse ! »
Mais le leader de l’AKP n’était-il pas là, lui aussi, pour affaire ? La Turquie entretenait 25 000 expatriés dans ce pays avant que le soulèvement ne commence, et elle avait signé pour près de 30 milliards de dollars de contrats avec le régime de Mouammar Kadhafi. Nul doute qu’aujourd’hui, après avoir effectué un virage à 180 degrés par rapport à ses positions initiales, qui l’avaient vu affirmer sa neutralité à l’égard de belligérants des deux camps et refuser de participer à l’intervention internationale, Ankara entende retrouver ses investissements libyens antérieurs, malgré les ambitions françaises et britanniques avec lesquelles elle devra compter désormais.
Au moment où cette tournée dans les pays phares des printemps arabes s’achève, l’heure du bilan paraît avoir sonné. En réalité, cette vaste entreprise de séduction en direction du monde arabe a fonctionné, selon le scénario auquel on pourrait s’attendre. Alors que se précise la demande de reconnaissance d’un État palestinien à l’ONU, Recep Tayyip Erdoğan a su parfaitement occuper le terrain. Empêché de se rendre à Gaza, il s’est offert néanmoins un discours à la Ligue arabe qui restera dans les annales (cf. notre édition du 14 septembre 2011), et qui lui aura permis de se faire le champion de la cause palestinienne et le chantre d’un système politique a la turca, parvenant à marier islam et démocratie. Toutefois, passé l’enthousiasme de la rue arabe et le silence des capitales occidentales, il sera intéressant de voir comment Ankara va gérer sa relation avec Washington. Les Etats-Unis sont-ils prêts à accepter que la Turquie poursuive son escalade verbale à l’égard d’Israël, et son engagement hyperactif en faveur de la cause palestinienne ? Comment vont-ils réagir au positionnement stratégique d’un allié turc entreprenant qui, à bien des égards, s’emploie à redistribuer les cartes au Proche-Orient.
Il est vrai qu’alors que son premier ministre jouait les leaders du monde arabo-musulman, la Turquie a pris le soin de donner de nombreux gages d’attachement à son allié américain. Elle a notamment confirmé sa participation au bouclier antimissile, accentué son engagement aux côtés de Washington dans la lutte contre le terrorisme, demandé à l’armée américaine stationnée en Irak de lui permettre de bénéficier de l’appui de ses drones Predatorpour pallier aux carences affectant livraison par Israël de drones Heron. Mais l’offensive du premier ministre turc en direction du monde arabe et les initiatives qui l’ont accompagnée, tendent aussi à modifier les équilibres stratégiques dans la région. L’Iran se retrouve menacé d’isolement au moment où les difficultés du régime syrien risque de lui faire perdre les leviers qu’il possède au Liban et à Gaza pour influer sur les conflits du Proche-Orient. Les Kurdes voient leurs sanctuaires en Irak bombardés par l’armée de l’air turque et menacés par une nouvelle intervention terrestre, à laquelle toutefois Téhéran, sollicitée par Ankara, vient de refuser de s’associer. Au risque de se couper totalement du monde musulman, les Kurdes en outre n’ont pu accepter l’aide que leur a «généreusement» proposée le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en réponse aux sanctions turques dont son pays vient de faire l’objet. Avec des accents erdoğanien, le numéro deux du PKK, Murat Karayılan a affirmé qu’Israël devrait d’abord s’excuser auprès du peuple kurde d’avoir contribué, en 1999, à l’arrestation d’Abadullah Öcalan. L’initiative arabe de Recep Tayyip Erdoğan contribue même à isoler la Grèce et Chypre d’un Proche-Orient avec lequel ces pays ont longtemps eu des relations denses, au moment même où se pose avec acuité la question de l’exploitation des gisements gaziers en méditerranée orientale. Isolement d’Israël, de l’Iran, des Kurdes, de Chypre… affaiblissement des positions internationales des pays arabes absorbés par la résolution de leurs problèmes politiques intérieurs, la Turquie paraît trôner au milieu d’un Proche-Orient transformé. Mais cette nouvelle assise stratégique d’Ankara reste encore à démontrer et va devoir à très courte échéance affronter des défis dont l’issue sera significative.
Barack Obama, qui continue de demander à la Turquie de rétablir ses relations avec Israël à un niveau normal d’intensité, doit rencontrer la semaine prochaine le premier ministre turc en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, alors même que Mahmoud Abbas, le leader de l’autorité palestinienne, vient de faire part de sa détermination à demander à ce que son pays soit reconnu comme un Etat-membre. On verra alors si le président américain est en mesure de siffler la fin de la récréation arabe du chef du gouvernement turc ou s’il doit composer avec la situation créée au cours des dernières semaines par son encombrant allié.
Quant à la diffusion du «modèle politique turc», elle aura donné lieu à la plus forte surprise de cette tournée arabe, même si cela a échappé à la plupart des médias occidentaux. On croyait, en effet, le leader de l’AKP parti pour faire la promotion d’un «islam modéré». Or, il n’a pas hésité à défendre l’idée d’une laïcité de l’Etat et à la recommander aux pays arabes qui sont à la recherche de nouveaux systèmes. En Égypte, notamment, Recep Tayyip Erdoğan a ouvertement souhaité l’adoption d’une constitution laïque, en se permettant de faire la leçon à ses interlocuteurs : «Dans un régime laïque, les gens sont libres d’adhérer à une religion ou de ne pas le faire… N’ayez pas peur de la laïcité qui n’est pas l’ennemi de la religion… J’espère que le nouveau régime en Égypte sera laïque… J’espère qu’après mes remarques, l’opinion des Egyptiens sur la laïcité changera.» Cette réintégration de la laïcité dans le «modèle turc» n’a pourtant pas été bien accueillie par tout le monde, en particulier par certains membres ou sympathisants des Frères musulmans égyptiens. L’un d’entre eux a estimé que le premier ministre turc plaquait artificiellement l’expérience turque laïque sur une réalité égyptienne totalement différente. Ces réactions hostiles auront été les seuls échos négatifs émis dans le monde arabe pendant la tournée de Recep Tayyip Erdoğan, mais elles ne l’auront pas découragé d’enfoncer le clou le lendemain en Tunisie, où il a réitéré son plaidoyer en faveur d’un Etat laïque, en récitant même pieusement le premier article de la Constitution turque (cf. notre édition du 16 septembre 2011).
Il est vrai que la position du premier ministre sur la laïcité, qui rejoint en fait une tradition ottomane d’organisation des relations religions-Etat fondée sur la tolérance, a peut-être une autre préoccupation : celle d’éviter les affrontements interconfessionnels dans la région, y compris dans des zones voisines de la Turquie. À plusieurs reprises au cours de sa tournée, Recep Tayyip Erdoğan a dit sa crainte de voir la crise syrienne actuelle tourner à un affrontement entre sunnites et alaouites. Au printemps, par ailleurs, il s’était rendu, à la surprise générale, sur les lieux saints chiites en Irak (en particulier Najaf), pour rencontrer le grand ayatollah Ali al-Sistani (cf. l’article de Jean-Paul Burdy dans notre édition du 23 avril 2011). Au moment où les pays du Golfe étaient en train d’écraser la révolte Bahreïnie (perçue par eux avant tout comme une révolte chiite), le leader turc avait voulu incarner un islam sunnite tolérant, ouvert au dialogue avec les autres branches de l’islam, en plaidant pour qu’il n’y ait pas de «nouveau Kerbala». Mais, au Caire et en Tunisie, le discours est allé plus loin, car le leader de l’AKP a estimé que pour assurer cette tolérance ainsi que la victoire de la démocratie, il fallait établir un «Etat laïque», seule formule apte à assurer la paix religieuse parce qu’elle place, a-t-il expliqué, l’autorité publique dans une position «équidistante à l’égard de toutes les religions». Il n’est pas sûr que le «professeur» Erdoğan ait été entendu et compris par tout le monde. Significativement, les médias les plus religieux des pays qu’il a visités ont eu tendance à taire pudiquement cet aspect-là de son discours. Mais, si cette position «laïcisante» se confirme, ce sera un indice important pour comprendre l’expérience politique que vit la Turquie à l’heure actuelle.
JM
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2 commentaires pour “ Premier bilan de la tournée des printemps arabes de Recep Tayyip Erdoğan ”

  1. [...] Article original publié sur le site de l’OViPoT le 17 septembre 2011 sous le titre Premier bilan de la tournée des printemps arabes de Recep Tayyip Erdoğan [...]

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