mardi 22 octobre 2013

Inégalités sociales et pauvreté en Turquie : que peut faire le gouvernement

Inégalités sociales et pauvreté en Turquie : que peut faire le gouvernement ?

15 avril 2013
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28 mars 2009 043A qui profite la croissance turque ? Si les inégalités de revenu en Turquie ont diminué entre le milieu des années 1990 et la fin des années 2000 -à la différence de la moyenne des pays de l’OCDE, où ces inégalités ont augmenté-, le gouvernement turc a encore fort à faire afin de réduire les inégalités sociales et la pauvreté dans son pays. Car malgré cette diminution, la Turquie reste le second pays de l’OCDE à avoir le plus d’inégalités de revenus après le Mexique. Si, selon le classement Forbes, la Turquie comptait 38 milliardaires en 2011, la moitié de la population percevait, elle, un salaire inférieur à 230€ par mois (chiffres de 2008). Ainsi, les 20% de ménages les plus riches gagnent huit fois plus (25 894$ par an) que les 20% des ménages les plus pauvres (3 179$). Pour comparaison, en France, les 20% les plus aisés gagnent « seulement » quatre fois plus que les 20% de ménages les plus modestes. Ces inégalités de revenus sont très marquées entre les territoires. L’une des particularités de la Turquie est en effet la présence d’inégalités territoriales très marquées : en 1999, la région la plus riche possédait un PIB par habitant plus de dix fois supérieur à celui de la région la plus pauvre. Il y a ainsi plus d’écart de revenus entre les régions de Turquie qu’entre les différentes régions de l’Union européenne. Les régions les plus riches sont Istanbul et la région égéenne, tandis que les régions de l’est et du sud-est de l’Anatolie (à majorité kurde) sont les plus pauvres. Le revenu médian annuel à Istanbul en 2008 était d’environ 3 980 €, contre 1 350 € en Anatolie du sud-est.
En 2011, 16% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté. Chez les travailleurs agricoles, ce chiffre atteignait 40% en 2008. Les zones rurales sont en effet particulièrement exposées à la pauvreté. Celle-ci incite les familles à faire travailler leurs enfants : si le travail infantile a tendance à baisser en Turquie, il reste important et représente 18% de la force de travail du pays. L’agence de statistiques turques, estime que 292 000 enfants âgés de 6 à 14 ans et 601 000 âgés de 15 à 17 ans ont travaillé en 2012. Selon un rapport de l’Organisation Internationale du Travail datant de 2009, la Turquie est l’un des pays où les enfants qui travaillent ont le plus gros volume horaire, soit environ 51h/semaine. Les enfants kurdes et roms, deux groupes très durement touchées par la pauvreté, ont plus de probabilité de devoir travailler que le reste de la population. Le plus gros poste d’emploi des enfants est l’agriculture. Ainsi, si seulement 33,5% des enfants vivent à la campagne, 55,2% des enfants qui travaillent sont des ruraux. Les enfants ne sont pas épargnés par l’insécurité au travail en Turquie, très élevée (cf notre édition du 13 mars 2013) : Gündem çocuk, une association de défense des droits des enfants, a récemment rendu public un rapport dans lequel elle estimait que 38 enfants avaient perdu la vie suite à un accident de travail en 2012.
Face à cette pauvreté et ces inégalités, quelles sont les possibilités d’action de l’Etat ? Comment protéger la société, et notamment les enfants, de la pauvreté ? L’Etat turc a trois moyens d’action potentiels pour corriger les inégalités de revenus : redistribuer via le système de protection sociale, via les impôts ou encore agir sur le salaire minimum. Il existe déjà un salaire minimum garanti en Turquie ; il s’élève à 978 livres turques brut, soit 773 livres turques net (environ 330 €). Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Faruk Çelik, a récemment déclenché une vague de réactions après avoir déclaré que le salaire minimum turc représentait « beaucoup d’argent ». Ces propos, qui ont choqué beaucoup de gens, peuvent s’expliquer par la méthode de calcul du salaire minimum en Turquie : celui-ci est calculé afin de répondre aux besoins du travailleur, contrairement à ce que préconise l’Organisation Internationale du Travail qui, à travers sa Convention n°131 de 1970 sur la fixation des salaires minima, stipule que les salaires minima doivent être calculés afin de répondre aux besoins du travailleur et de sa famille. Ainsi, si 773 TL permettent à une personne vivant seule de répondre à ses besoins vitaux, un homme gagnant le salaire minimum et devant faire vivre sa famille (sachant que les femmes ne sont que 26% à occuper un emploi en Turquie) n’assurera pas à son foyer un niveau de vie décent. L’AKP, depuis son arrivée au pouvoir en 2002, a souvent réévalué le salaire minimum (en 2009, il était ainsi de 546 livres turques net), le ministre du Travail et de la Sécurité sociale a affirmé qu’il n’était pas envisageable de l’augmenter prochainement, par crainte de diminuer la compétitivité de la Turquie et de renforcer le secteur de l’économie informelle, qui représenterait 40% de l’emploi total en 2006.
Seconde piste pour diminuer les inégalités en Turquie : agir sur les prestations sociales. Les mesures de protection sociale couvrant les risques vieillesse, invalidité et maladie sont les plus développés et représentent 95% des dépenses publiques sociales. Les dispositifs d’aide sociale, les mesures destinées aux familles ou l’assurance chômage sont très récents ou inexistants ; l’assurance chômage n’a par exemple été créée qu’en 1999. La Turquie dépense un très faible pourcentage de son PIB (13,2% en 2003 contre 28,7% en France et 20,7% dans la moyenne des pays de l’OCDE) dans les dépenses publiques sociales. L’Etat pourrait donc renforcer son système de protection sociale pour aider les plus démunis, mais il semblerait que ce ne soit pas à l’ordre du jour. En effet, le gouvernement préfère agir au coup par coup et distribuer sporadiquement du charbon, de la nourriture ou encore des vêtements plutôt que de lancer une grande réforme structurelle du système de protection sociale.
Enfin, la troisième piste pour réduire les inégalités sociales pourrait être de revoir le système de prélèvement d’impôts en Turquie. Pour les analystes, la politique fiscale turque contribue à renforcer les inégalités. En effet, l’Etat privilégie les impôts indirects, comme la Taxe à la Valeur Ajoutée, l’ÖTV (une taxe spéciale sur la consommation de certains produits comme les véhicules, le tabac, l’alcool, les articles de luxe et les produits pétroliers). Ces impôts indirects, inégalitaires par nature puisqu’ils font peser le même poids sur tous les citoyens, représentent 77% des recettes fiscales du pays. L’Etat pourrait chercher à augmenter le poids des impôts directs redistributifs, comme l’impôt sur le revenu, dans la part de ses prélèvements afin de diminuer les inégalités en Turquie. Le problème majeur étant, comme pour le salaire minimum, qu’augmenter l’impôt sur le revenu pourrait amener à renforcer d’une part les sous-déclarations (déjà monnaie courante) et d’autre part l’emploi informel, déjà très développé en Turquie.
Ainsi, non seulement en Turquie les inégalités de revenus sont très fortes, mais l’Etat ne contribue qu’à la marge à réduire ces inégalités. Il semblerait que tant que l’économie informelle sera aussi importante en Turquie, les politiques de réduction des inégalités auront une efficacité limitée. Existe-t-il aujourd’hui une volonté politique de lutter contre cette économie informelle  ou contre les inégalités ? Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les syndicats, très faibles, qui auront la capacité de changer la donne.

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